
Daniel Louradour est né à Nanterre (Hauts de Seine) le 25 juillet 1930. Élève de Corlin (1949-1950), il entre sur concours à l’Ecole Nationale Supérieur des Arts Décoratifs de Paris en 1950.
Des 1951, il suit les cours d’Art sacré de l’Atelier Rocher, Place Fürstenberg à Paris.
Professeur de Scénographie à l’ A.D.A.C.
Sociétaire du Salon des Indépendants et du Salon « Comparaisons « Médaille de vermeil de la Ville de Paris 1986 International (Who 50 Who) Biographical Art Dictionary - Switzerland Editions 89/90 - Lausanne
Daniel Louradour a conduit de front quatre activités artistiques: La peinture, la lithographie, l’illustration de livres et la création de décors et de costumes (opéra, ballets, théâtre, cinéma et télévision)
Daniel Louradour a-t-i l vingt-cinq ans? Un grand gars interminable avec des cheveux dorés et des yeux ronds et bleus qui ne regardent point et voient. En effet, c’est un voyant, son VERSAILLES INSOLITE témoigne de cet épanouissement lyrique. Pour lui seul, d’abord, il a recréé et pour notre joie ensuite, un Versailles merveilleux et émerveillé, où s’agitent, dansent, cliquettent fantoches, matassins, sphinges et revenants, tous coquets, tous élancés.
Il peint avec de la neige, du givre et du verre de Venise. Tout paraît étincelant et immense. Les arches deviennent des propylées et les balustres des colonnes. Voici d’éblouissantes divagations qui se font immédiatement admettre et voilà le secret de son art qui se communique par des procédés, eux aussi, insolites. Daniel (tout le monde lui donne son prénom) qui semble fait pour la nonchalance ne connaît que l’activité.
On dirait que les exigences de ces créations hallucinatoires le décuplent. Il en est à sa première exposition mais non à ses premiers travaux ; l’enfant Daniel a des qualités d’homme, de l’ardeur et de la ténacité, de la continuité. Il a derrière lui des ensembles homogènes et goûtés,
obtenus à la force du poignet... Ne croyez pas que malgré son primesaut, sa verve ne soit que fugitive. Il vous parle gravement de passer toute sa vie à Versailles, de vieillir près du Grand Canal, et de mourir joyeusement parmi les tessons
du Trianon de porcelaine. Souhaitons qu’il y parvienne le plus tard possible, en ayant ajouté à la demeure sans pareille, l’élément chatoyant et furtif de son anomalie.
La Varende
Le Monde Vendredi 6 Juillet 2007
Daniel Louradour est récemment sorti de scène, et nous ne l’y reverrons plus. Il avait à peine 77 ans. Peintre, illustrateur, inventeur de multiples décors et costumes pour le cinéma, le théâtre, l’opéra, le ballet, il était à la fois l’héritier d’un-certain baroque du XX’siècle, proche par moments du surréalisme, de l’étrange, du dérangeant, et au fond de lui-même un romantique persistant. J’ai presque envie de dire: incorrigible.
Rien de cynique en lui, rien de parodique ou de dérisoire, rien de monstrueux, mais rien d’ordinaire.
Tout ce qu’il touchait était aussitôt transfiguré. Bien qu’il passât sans cesse d’un thème, d’une image, d’une atmosphère ‘à l’autre, du Grand Meaulnes à Henri «Michaux, il a su maintenir, tout au long de cinquante-cinq années de travail, et dans tous les domaines une âme intacte, rêveuse, comme s’il cherchait, avec persévérance, à voir Un autre monde dans celui-ci.
Maître de la perspective
Le mot qui le définit le mieux est sans doute féerique. Il était, depuis le berceau, de ceux qui ont reçu le don de transformer les choses, de les entraîner, de gré plutôt que de force, dans Une autre dimension, dans .un autre territoire, où tous les accouplements deviennent possibles, où toutes les chimères se mettent à vivre. Ses compositions évoquent assez souvent une clairière, où des créatures : improbables n’hésitent pas à se montrer, Et ces clairières sont entourées non pas d’ombre, mais de lumière. A la base, une très solide formation : l’atelier Carlin, qui fut célèbre dans les années d’après-guerre, et l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs.
Tout l’intéressait, tout l’attirait. Il suivit même, pendant plusieurs années, des cours d’art sacré. A cela s’ajoutait une attirance intuitive pour le spectacle, surtout pour le théâtre auquel il a beaucoup donné.
Que de projets, que d’expositions, que de peintures murales, que d’activités, que d’expériences!
Çe qui m’étonnait en particulier chez cet homme qui aimait vivre dans de grands espaces, c’était son goût pour les petites scènes, l’Œuvre, le Lucernaire. Ilse sentait à l’aise, dans ces cas-là, devant l’obligation d’une métamorphose, qui eût fait reculer des mains moins téméraires. Maitre en perspective, il les prenait, je crois, comme une série de défis : rien n’est petit pour qui voit grand. J’ajoute que je l’ai vu au travail sur un plateau de cinéma. C’était pour Le Grand.Amour, de Pierre Etaix, en 1968. Lui qui regardait tout, qui était curieux de tout, qui accumulait les carnets de notes, il savait aussi, quand il le fallait, planter des clous et tremper le pinceau dans le pot.
Cet artiste était un homme de main.
Cette légèreté délicate, ce charme aux couleurs tendres, cette féerie qui lui appartenait ne lui étaient pas donnés comme une aumône du ciel. Ils venaient bel et bien de la terre. Il était un piocheur, un têtu. Il recommençait son travail pour des raisons qu’il était sans doute le seul à connaître. On le voyait capable de s’acharner pendant deux heures sur un détail qui lui résistait, et qui finalement lui cédait, de très bonne grâce. « Oui, ça va maintenant, disait-il. Enfin, ça peut aller. »
Il nous quitte soudain sur la pointe des pieds. Assez touche-à-tout pour ne pas craindre le classement dans quelque placard.
Assez furtif pour se glisser partout. Assez anachronique pour échapper au temps.
Jean Claude Carrière